Présence interdite … rien à secouer. Amber était majeure, depuis plus de dix ans maintenant, vaccinée et … membre du personnel surtout. Alors être sur le toit alors qu’il était interdit aux individus lambda de l’Institution … Déjà, elle ne se sentait pas vraiment concernée. Ou alors Dante ne lui avait pas tout dit. Mais de toute façon … elle s’en foutait comme de sa première perfusion. Personne ne lui avait fait de reproche jusque-là et tant que personne ne lui en ferait, elle continuerait de venir ici pour la simple envie d’être un minimum tranquille. Kageri avait son numéro de portable si jamais elle avait besoin. Et comme elle n’était pas à sa première excursion en hauteur, que ce soit anciennement à House Fukkou ou maintenant à Shima, son amie et collègue savait où la trouver. No stress.

Vêtue d’un pantacourt en jean, d’un débardeur blanc à fleurs hawaïennes bleues croisé dans le dos et d’une chemise du même bleu dont les manches étaient remontées jusqu’aux coudes, elle profitait du répit qui lui était accordé. Elle en avait même laissé ses escarpins dans son bureau. Cela étant, elle n’avait pas oublié le rouge à lèvres habituel et l’eye-liner. Pieds nus et les cheveux relevés en un chignon dont se dégageaient deux mèches faiblement ondulées, elle se délectait de la chaleur ambiante. Pour ceux qui avaient la chance de ne pas encore la connaître, elle pouvait éventuellement passer pour une touriste égarée. Mais le regard blasé qu’elle lancerait à ceux-ci les informerait bien vite du contraire.
Accoudée à la rambarde qui faisait le tour du toit, la doc regardait de haut, au sens propre et non au figuré, les allées et venues en contrebas. Adieu tranquillité. Un certain nombre d’insulaires, personnel de l’Institution ou non, était déjà arrivé. Mais un nouveau flot était prévu pour ce jour-ci. Principalement des adhérents puisque l’ouverture officielle de l’Institution était pour aujourd’hui. Autant dire que cela augmentait considérablement le nombre de bras cassés potentiels. Et donc l’influence à l’infirmerie. Génial. Elle en soupira. Elle aimait son travail. Mais elle n’allait pas nier non plus que des journées plus légères étaient appréciées. Elle était légèrement masochiste sur les bords, mais pas suffisamment pour ça. Mais assez pour jongler entre l’infirmerie et l’hôpital présent sur l’île quand ses services étaient requis.

D’une bonne humeur qu’elle affichait pour l’instant, fait assez rare pour être noté, elle sortit une clope et son briquet. Calant la première entre ses lèvres, elle amorça un début d’utilisation du second avant de le regarder de ses yeux bleus. Elle n’était pas particulièrement préoccupée ni même énervée. En avait-elle véritablement besoin ? Elle connaissait la réponse. Et si elle avait réduit sa consommation à deux ou trois par mois, ce n’était pas pour en griller une alors qu’elle n’était ni en manque ni dans la nécessité. Rangeant les deux dans ses poches, elle s’étira négligemment avant de reprendre sa place à la rambarde.

Pour le moment, c’était une bonne journée. Autant ne pas la gâcher en geste futile et tout faire pour en profiter. Avec un léger sourire en coin, Amber reprit son observation silencieuse des autres êtres vivants. Simple mortel ou pas.

L’avantage d’un emplacement en hauteur, c’est que la plupart du temps, les gens en contrebas n’y font pas attention, ne prenant même pas la peine de lever les yeux. Et pourtant, s’ils l’avaient fait, ils auraient remarqué la jeune femme accoudée à cette rambarde qui, telle une reine qui dominait tout le monde, semblait contempler ses sujets d’un œil plus ou moins intéressé. Amber ne prenait même pas la peine de se dissimuler : d’une parce qu’aucun ne jetait un coup d’œil dans sa direction et de deux, elle n’était pas là-haut pour se cacher. Et comme elle en avait parfaitement le droit …

Elle profitait de la tranquillité qui lui était accordée, dévisageant les têtes qui arrivaient au fur et à mesure. Elle en reconnaissait certaines. D’autres pas. Daisuke ? Ok. Son accompagnateur ? Inconnu au bataillon. Si le premier était déjà à la maison de redressement, ce n’était pas le cas du second. Ayant eu entre les mains et lu tous les dossiers des élèves ainsi que ceux du personnel … elle s’en souviendrait. Cela étant, elle n’était pas à jour dans les nouveaux venus. Mais elle s’occuperait de cela avec Kageri plus tard. Elle ne l’avait pas encore vue passer d’ailleurs … à moins qu’elle ne soit déjà à l’intérieur ? Bonne question.
Continuant ses identifications faciales, elle remit aisément le nom d’Aerith sur une demoiselle aux cheveux couleur des blés quand elle passa. Là encore, c’était facile : elle-aussi avait été à House Fukkou. Aucun défi. C’est avec un semi-sourire amusé qu’elle assista aux retrouvailles qui commençaient au ralenti entre les deux jeunes gens qu’étaient Kyle et Stanley. Avant de devenir bien plus fougueuses. Comme s’ils ne s’étaient pas vus depuis des siècles. Ils étaient au courant que les communications existaient ? La plus rapide, un coup de téléphone ? Ou Internet que ce soit pour un envoi de mail ou une discussion instantanée ? Il restait aussi la solution de la lettre s’ils avaient habité dans un trou paumé … La doc ne trouvait pas ça logique. Les gens qu’elle aimait, si elle ne pouvait pas les voir, elle les appelait deux à trois fois par mois pour parler de rien. Davantage si elle avait à parler de tout. Mais elle n’était jamais plus de quinze jours sans les avoir au bout du fil, même si cela ne durait que dix minutes. Juste le plaisir d’entendre leur voix. Mais après tout, la vie privée des deux gosses ne la concernait pas vraiment. Pas du tout en fait. Ils faisaient bien comme ils voulaient.
Ils finirent par disparaître de son champ de vision, laissant place à une autre demoiselle blonde mais dont la chevelure était plus courte. Nouvelle inconnue. Et au vu de la boule de poils avec elle … elle misait plutôt sur une « être mystique » comme disait les papiers. Le brun qui s’avançait vers elle ne l’inspirait pas plus. A croire que toutes les vieilles têtes avaient quitté le navire.
Ah. En fait non. Elle reconnut aisément les cheveux bleus d’Erio et par conséquent, le bulot qui lui servait de disciple, à savoir Alois. Ils étaient là depuis un peu, et Erio venait aussi d’House, mais elle n’avait pas pris le temps de faire plus ample connaissance. Que ce soit avant ou maintenant. Pas d’intérêt particulier non plus. Elle ne cherchait pas à agrandir son cercle d’amis alors elle n’avait pas pris la peine d’aller plus loin. Valshe, ancienne pensionnaire aussi, passa brièvement avant de s’engouffrer dans le hall. Et n’ayant pas le pouvoir de voir à travers les murs, elle ne la vit plus. Mais elle supposait que la plupart du personnel s’y trouvait. Lieu qu’elle avait fui sans la moindre honte.
Son regard fut attiré par un petit attroupement qui s’approchait. Un sourcil curieux et vaguement surpris se haussa quand elle reconnut Elric au milieu. Mais qu’est-ce qu’il avait foutu pour se retrouver menotter ? Elle avait raté un mémo quelque part ? Réfléchissant à ce fait, elle le suivit des yeux jusqu’à ce qu’il rentre à son tour. Peu après, Toshiro et ses cheveux blancs s’invitaient à sa vue quand Aokai et Yukari faisaient de même … finalement, les anciens étaient juste en retard. Ce qui n’était plus étonnant que ça à bien y réfléchir.
Son attention fut captée par un jeune homme qui remontait l’allée à pas pressés. Accrue quand elle nota qu’il s’agissait de Julian et qu’il semblait tout sauf de bonne humeur. Dès le premier jour, ça promettait. Et en plus Elric était dans …

« Merde ! »

Ni une ni deux, Amber quitta son observatoire pour rapidement se ruer vers les escaliers et redescendre dans le hall.

Repassée fissa devant tout le peuple, la jeune femme sortit bien vite de ce bourbier auditif qu’était le hall. Elle n’était pas agoraphobe mais elle était tout de même mieux ailleurs que dans une masse grouillante. Grimpant les marches des différents escaliers deux à deux, elle fut de nouveau sur le toit en un rien de temps. Pour son plus grand plaisir. Elle avait impression d’être passée dans un monde ouaté ou d’avoir mis des boules Quiès. Ou peut-être bien les deux qui sait ?
Dans tous les cas, elle n’avait plus l’impression d’être à l’Institution et la vue était des plus agréables : arbres, forêts et mer. Il y avait bien pire comme cadre environnemental. S’étirant à s’en faire craquer les os de la colonne vertébrale avec délice, elle jetait un œil au bloc d’où elle venait de sortir et avisa la petite échelle qui y courait. Souriante, elle s’y dirigea avant de mettre mains puis pieds sur les différents barreaux. Montant avec légèreté, elle atteignit le premier niveau sans difficulté … et lorgna la seconde échelle d’un coup d’œil avide.
Ni une ni deux, elle l’emprunta à son tour et se retrouva au point culminant, non pas de l’île, mais de l’Institution. Curieuse sensation que d’y être. Souriante, elle pivota sur elle-même pour avoir un aperçu des environs. Vue dégagée … à la bonne heure. Une petite brise passa, faisant voler les pans de sa chemise avec une sorte d’amusement tout à fait printanier. Pas le moindre bras cassé à l’horizon. Souriante, elle s’allongea à même la surface dure du toit plat et croisa les bras derrière son crâne. L’une de ses jambes resta tendue alors que l’autre se pliait, laissant le genou en hauteur pour ne toucher le sol que du pied. Elle n’aurait rien eu contre un petit plaid pour le confort. Mais il ne fallait pas cracher sur l’essentiel : un soleil qui ne cognait pas encore trop fort et une tranquillité qu’elle adorait. Que demande le peuple ?
Amber laissa son esprit divaguer sereinement le flot de souvenirs qu’elle possédait. Sans surprise, ceux qui mettaient en scène sa famille et ses meilleurs amis lui vinrent sans forcer. Avec une esquisse de sourire aux lèvres, elle s’enfonça dans le bonheur passé tout en profitant de celui qu’elle vivait à l’heure actuelle.

Repris par un rire typiquement féminin. Amber fronça les sourcils. A ce moment-là, Nola n’était pas encore arrivée … elle n’avait donc pas pu rire de cet exploit. Avait-elle rêvé ce rire ? Apparemment non puisqu’il se poursuivait. Et il sonnait comme une libération. Décidant de quitter le monde du souvenir, elle se redressa, s’asseyant alors en tailleur. En faisant bien attention, cela ne pouvait pas correspondre à sa meilleure amie. Son rire à elle était plus léger, plus aigu aussi. Jouant avec l’une des mèches qui se rebellait sur le côté, elle chercha du regard l’origine de son trouble. On ne peut même plus être tranquille ici maintenant …
Elle finit par tomber sur une demoiselle accoudée à la rambarde. Un peu comme elle plus tôt … sauf qu’elle, elle était silencieuse et qu’elle n’avait tiré personne de son monde intérieur. Rester là ou pas ? Allez, à moitié. Restant dans son mutisme, physique ou bien verbal, elle se décala vers le bord et regagna l’échelle pour descendre au niveau intermédiaire. Elle contourna la petite structure pour se trouver, en hauteur soit, mais dans le dos de l’autre être vivant, peut-être pas humain, présent sur ce toit.
A vue de nez, elles devaient être de la même taille. Ou pas loin. Côté fringues, si elle avait opté pour le clairement décontracté aujourd’hui, au point d’être pieds nus, en temps normal, elle aurait pu porter la même chose que l’inconnue qui lui disait pourtant quelque chose, même de dos. Similarité au niveau de la couleur de cheveux … même si les siens étaient vraiment aussi noir que l’ébène. Ah mais bien sûr. Yukari ...
L’entendant rager après elle ne savait quoi, la doc la regarda faire des confettis avec un morceau de papier. Cela … lui arrivait aussi. Même si elle était plus du genre à se venger lors d’une bonne partie de jeux vidéo. Accessoirement en mettant la misère à des mecs qui se croyaient les plus doués. Par contre, jeter ce qui pouvait être recyclé en plein vide, ça jamais. Cela ne faisait pas parti de son éducation. Elle ne répondit pas tout de suite, continuant d’observer.
Elle retint un rire. Si Pierre, Danny ou François avaient été à sa place et que Nola avait été avec elle … elle en connaissait trois qui se seraient pris des bombes à eau sans vergogne. Mais c’était un contexte différent.
Elle s’étira, faisant craquer ses os avec délice, et sa voix s’éleva, le timbre orienté vers le neutre avec un soupçon de fraicheur.

« Tout dépend Yukari. Dessiner, écrire. Prescrire. Des avions en papier parfois aussi … Mais en aucun cas c’est fait pour être gaspiller de la sorte. Ni même jeter au gré du vent. Cela étant, ce n’est pas moi qui nettoierais la cour. »

Dessiner … pour sa mère qui créait des lignes de vêtements tout en gérant la société de prêt-à-porter. Dessiner … pour l’un de ses frères qui était architecte. Ecrire … pour l’autre qui était ingénieur informatique et qui devait rédiger comptes-rendus, procédures et propositions. Prescrire … pour son père. Pour elle.
Quant aux avions en papier … elle avait en tête des batailles mémorables dans les amphis de la fac.

« Cela dit, ce n’est que mon avis. Vous faites bien ce que vous voulez. »

C’est avec un léger amusement, que seules quelques personnes de l’île auraient pu entrevoir, qu’Amber regarda la demoiselle se retourner, cherchant l’origine de la perturbation sonore comme elle juste avant. Chacun son tour. Sans ciller, elle se laissa détailler. Elle avait autant l’habitude de lancer des regards glacials qui refroidissaient la plupart de ses interlocuteurs que d’en recevoir. A la différence près qu’elle s’en foutait comme de sa première perfusion. Alors une observation visuelle dans les règles … elle y accordait moins d’importance qu’à une tâche sur son tapis. Mais les réactions de son interlocutrice valaient le détour, surtout le haussement de sourcil.
Elle avait plusieurs théories à ce sujet : la demoiselle pouvait se demander qui elle était, comment elle connaissait son prénom ou encore ce qu’elle faisait. Qui vivra verra comme dit l’adage.
Quand Yukari reprit la parole, elle n’avait pas bougé ni même cillé et elle l’écouta avec attention, toujours sans détourner ses prunelles bleues.

« Encore une fois, ça dépend. Caractère nostalgique ou non. déclara-t-elle d’un ton détaché avant qu’il ne se durcisse à l’entente des propos tenus Sauf que si tout le monde pensait comme vous, il y a un moment déjà que notre planète Bleue serait à l’agonie … enfin, plus que maintenant. Et ce serait "notre" problème, pas seulement le vôtre. »

Fibre écolo ? Cette valeur oscillait entre le "pas plus que ça" et le "pas tant que ça". Il lui arrivait d’écrire sur des feuilles et de les chiffonner derrière parce qu’elle n’était pas satisfaite de ce qu’elle avait couché sur papier. Mais il était toujours recyclé au bout du compte. Il ne finissait pas au gré du vent, disséminé aux quatre coins de la planète. Ou de l’île pour le coup.

« Mais je ne crois pas que nous soyons ici pour parler écologie. »

Pourquoi étaient-elles là, sur ce toit ? Bee, c’était facile : pour le calme et la tranquillité avant le rush du défilement de bras cassés à l’infirmerie. Tout moment reposant était bon à prendre. Même s’ils existaient aussi quand elle était dans son royaume médical en compagnie de Kageri. Mais la demoiselle … était-elle là pour la même chose ? Le besoin de se retrouver loin des autres et de leur brouhaha incessant ? Bonne question.
Quant à leur présence sur l’île … si elle-même avait soigné des êtres d’une nature différente pendant trois ans avant que les hommes ne continuent d’être cons et de répéter les mêmes erreurs que par le passé, ce n’était pas pour s’arrêter au beau milieu du chemin. Et puis, elle avait aussi ses amis ici. Le fait est que les médecins compétents qui restaient neutres ne courraient pas non plus … Alors c’était sans mal qu’elle avait eu sa dérogation.
Pour Yukari, elle ne savait pas. Tout ce dont elle se souvenait de son dossier médical, c’était qu’elle était humaine. Rien de plus. Alors à moins qu’à l’image de Julian, elle est évoluée, elle devait être là pour une bonne raison. Qu’elle lui demanderait plus tard. Ou pas.
Bien qu’ayant divagué, Amber n’avait pas quitté des yeux son vis-à-vis en contrebas. Elle reprit tranquillement, toujours sur le ton neutre un peu refroidi.

« Personnellement, quitte à en vouloir à un morceau de papier, j’en fais un avion. Qui finit en papier mâché pour mes filleules. Ou en petit tas de cendres dans la cheminée de mes parents. Tout dépend du moment. dit-elle en haussant les épaules avec une sorte de fatalité Mais non, je n’ai pas forcément de meilleure solution. Intelligente ou pas. Je sais juste qu’en ce qui me concerne, je n’aurai pas fait comme ça. Et c’est bien tout ce que je prétendrais savoir pour le coup ... »

Chacun ses techniques, chacun ses méthodes. Sa meilleure amie réduisait tout en petits carrés identiques avant d’en faire un petit tas et de le brûler. Elle, elle y passait moins de temps. Plus vite elle passait à autre chose, mieux c’était. Quant au savoir … pour sûr elle en avait. Mais il ne s’appliquait pas vraiment à leur situation actuelle.
A la survenue du blanc, elle esquissa d’abord un léger sourire qui migra bien vite en une légère moue. L’oubli de son identité l’amusait. L’emploi du "Mademoiselle" nettement moins déjà. Elle corrigea dans la foulée.

« Docteur. Pas de Mademoiselle ni de Madame. Docteur Kaiso si vous tenez à mettre un nom derrière. Mais je vous prierai de bien vouloir vous limiter à ça. Cela se voit que vous n’êtes pas souvent passée nous voir à l’infirmerie … sinon vous vous en souviendriez. »

La doc afficha alors un sourire sincère. Mais pas le doux, gentil et niais. Non non. Le sourire en coin avec la petite tendance sadique et cynique. Là, c’était vraiment elle.

Amber savait que son discours à la teneur clairement écolo tombait dans l’oreille d’un sourd. Mais tout ça lui passait au-dessus. Elle disait ce qu’elle avait à dire, point. Si son interlocutrice n’en tenait pas compte, que pouvait-elle y faire ? Rien. Alors autant ne pas se prendre la tête dessus. Elle avait bien d’autres énigmes qui valaient le détour. Elles étaient juste couchées sur un tableau blanc présent dans sa chambre et qu’elles n’attendaient que son retour. Ce serait pour plus tard …
Silencieuse, elle l’observa retirer ses talons. Si on ne peut pas les porter toute la journée, on n’en porte pas … C’était une habitude à prendre. Elle pouvait en porter toute une journée sans avoir mal en rentrant chez elle. De même, elle pouvait rester toute une après-midi debout en talons aiguilles sans peiner. Elle jeta un œil à ses propres pieds … nus. Là, la situation était différente. Ce n’était pas qu’elle les avait ôtés … c’était qu’elle ne les avait même pas mis le matin même. Elle avait dormi dans la chambre qui lui était attribuée à l’Institution et l’avait quittée les chaussures à la main. Escarpins qu’elle avait simplement posés à côté de son bureau dans l’infirmerie. Juste par envie de rester dans le décontracté pour ce jour-là. Les suivants seraient bien différents.
Elle haussa les épaules à la question à semi rhétorique de Yukari.

« Peut-être. Ou peut-être pas. Je ne connais pas les tenants et les aboutissants de votre histoire ni les détails de votre vie. Je ne peux résoudre l’équation que si j’ai toutes les variables ... »

Et encore. Même si elle en avait connaissance, qu’est-ce qu’elle en ferait ? Rien. Elle n’avait pas d’affinité particulière avec la demoiselle. Alors dans le fond, elle s’en fichait pas mal. Un jour prochain, peut-être que cela lui importerait. Ou pas. Si Julian avait fait exception parmi les élèves, ce n’était pas pour ça que tous les autres allaient en être une également. Après tout, il était la seule et unique exception qui confirmait la règle. Et la doc ne tenait pas plus que ça à passer au pluriel. Les anciens élèves d’un côté et elle de l’autre … le monde, son monde ne s’en porterait que mieux.
Elle laissa échapper un rire sec en entendant l’accentuation. Tellement cliché, tellement banal … pourquoi diable avaient-ils tous bien souvent cette même réaction ? Ils croyaient quoi ? Que cela allait la faire sortir de ses gonds ? S’ils savaient … il lui en fallait bien plus que ça. Et si c’était de la moquerie … quel doux son à ses oreilles. Elle s’en foutait comme de sa première perfusion. Elle y était imperméable depuis le temps. Elle reprit, comme si de rien était.

« Tout ce que je peux dire, c’est que c’est tellement pathétique à vos yeux que vous en êtes à en parler tout de même et à réduire en charpie un morceau de papier innocent. Alors est-ce vraiment si pathétique que vous le dites ? Peut-être que vous vous montez la tête pour rien. »

Se prendre la tête pour rien … elle avait été douée pour ça à un moment. Merci bien, cette période était derrière elle. Maintenant, elle réglait les problèmes dès qu’ils survenaient ou dans les meilleurs délais. Pas de place pour eux dans sa vie. Le seul qui lui restait ? La téléportation. Mais à part ça …
Quant au pathétique … si ça l’était vraiment, on le laissait pourrir dans un coin sans y revenir. Enfin, c’était sa façon de faire. Yukari n’avait apparemment pas la même. Mais ce n’était pas ses affaires.
Elle s’étira de nouveau, réentendant sa colonne protester légèrement avec un léger plaisir. Ce son … elle pouvait l’écouter sans se lasser. Si certains trouvaient ça dérangeant, elle n’en avait cure. Elle, il la détendait alors elle n’allait certainement pas s’en priver.
En tout cas, l’idée de retourner s’allonger au soleil lui plaisait bien … et celle d’abandonner la demoiselle ne l’outrait pas vraiment. Elle opterait sûrement pour ce choix si le silence venait à s’installer entre elles.

Amber continuait de fixer Yukari bien que cette dernière n’ait apparemment rien à ajouter. Peut-être ne l’avait-elle pas écouté ? Ou pas entièrement. Même si elle trouvait ça malpoli de ne pas prêter l’oreille à ceux qui nous parlait, elle était loin de s’en retrouver vexée. L’idée d’aller se rallonger au soleil se profilait de plus en plus. A son plus grand ravissement d’ailleurs.
Alors qu’elle s’apprêtait à emprunter une nouvelle fois l’échelle, une tête véritablement inconnue s’invita dans son champ de vision. Tête inédite qui ne l’avait pas encore vue. Cela étant, elle ne pouvait pas ignorer sa présence sauf s’il était courant de penser que les gens pouvaient parler tout seul. Pourquoi pas après tout ? Cela lui arrivait bien quand elle réfléchissait. Elle énonçait à voix haute ses conclusions, comme pour les faire partager à un auditoire invisible. Elle n’était pas comme Saint Thomas. Il ne fallait pas qu’elle voit pour croire. Elle partait du principe que ce n’était pas parce qu’on ne voyait pas les choses qu’elles n’étaient pas là. Mais chacun ses théories …
Elle détailla alors la nouvelle venue. Côté taille, à croire qu’elles faisaient un rassemblement : elle lui donnait dans les mêmes eaux qu’elle-même et Yukari. Quant à ses cheveux, bien qu’ils soient plus clairs que les leurs, ils restaient tout de même dans les mêmes tons. Y’avait-il un centre d’énergie sur ce toit qui appelait à lui certains types de jeunes femmes ? Elle aurait pu y croire. Côté fringues … c’était un peu trop neutre pour elle. Bien qu’elle soit souvent en tailleur uni pour le boulot, elle osait régulièrement les couleurs, flashy ou pas. Juste une petite touche d’excentricité qui n’enlevait en rien son autorité. Et elle aimait bien trop ses talons pour être à plat tout le temps … même si elle ne disait jamais non au fait d’être pieds nus ou de porter ses Camper bien-aimées. Question âge, c’était disparate aussi. Elle ne donnait pas plus de 25 ans à celle qui avait une carnation européenne.
Quand la demoiselle se tourna vers elle, la doc la fixait toujours sans ciller et ne détourna pas le regard. Ce n’était pas une sorte d’offense ni même qu’elle la jaugeait. C’est juste qu’elle n’en avait rien à faire et qu’elle l’avait juste observée physiquement. Elle l’écouta sans rien dire, laissant à Yukari l’honneur de prononcer les premiers mots. Elle hocha juste vaguement la tête, enchainant sur le même ton frais.

« Ni même à un quelconque moment d’une discussion. Cela tiendrait plus de la non-discussion à bien y réfléchir. »

Qu’avaient-elles échangé ? Des banalités sans intérêt. Des bribes de mots lâchés aux quatre vents. Comme les petits morceaux de papier de son interlocutrice de base. Et ce n’était pas cela qui faisait une conversation pour elle. Au moins, elles étaient sensiblement d’accord là-dessus.

« Mais autrement, bonjour oui. »

En fait, si Amber avait été dérangée, c’était au moment où la première demoiselle s’était mise à rire bruyamment, ajoutant une note féminine dans un souvenir qui n’en contenait pas. Le reste n’avait été qu’une suite logique des événements. Elle regardait encore l’inconnue. Devait-elle se montrer sociable ou pas ? Allez, soyons fous : fifty-fifty. Sans prendre la peine de descendre, comme si elle n’en valait pas le coup, elle reprit la parole.

« Et accessoirement, qui êtes-vous ? »

La sympathie transpirait à grosses goutes dans cette question. Froide et distante … vous étiez prévenus.

Lors d’un échange conventionnel, Amber aurait attendu une réponse. Là non. Son portable vibra docilement une fois dans sa poche et elle l’en sortit immédiatement pour décrocher dans la foulée, sans prendre la peine de s’excuser, jetant un œil au nom inscrit. Elle avait vu tout de suite qu’il s’agissait de l’infirmerie. Son interlocuteur n’avait du attendre que le temps d’une tonalité.

« Dr Kaiso. Que se passe-t-il ? »

En général, si l’infirmerie l’appelait, ce n’était pas pour rien. Elle ne s’embarrassait pas des détails de bienséance. Au diable les convenances quand l’urgence était là. La seule différence aurait été le cas où elle savait sa collègue dans la pièce. Elle aurait alors échangé ses propos pour un « Que puis-je pour toi Kageri ? ». Mais sinon …
Elle reconnut tout de suite la voix de Dante et ne put réprimer un léger sourire malgré ce qu’il lui annonçait. Fin de la pause. Il fallait bien que cela arrive à un moment donné. Et toutes les bonnes choses ont une fin …

« J’arrive. »

Elle raccrocha sans plus de cérémonie avant de remettre le téléphone dans sa poche. Sans plus attendre, elle quitta son promontoire, empruntant la petite échelle rapidement sans pour autant rater de barreau. Manquerait plus qu’elle se blesse en allant à l’infirmerie … ce serait la meilleure. Elle adressa un signe de tête à ses deux interlocutrices.

« Mesdemoiselles, à plus tard. »

Et en moins de temps qu’il ne le faut pour dire ouf, elle s’était engouffrée dans les escaliers pour rejoindre l’infirmerie.